Si le regard que nous portons ici sur certaines indications médicales et nutritionnelles dans le traitement de l’obésité, parait critique ; il tend avant tout à refléter les confusions d’ordre scientifique, médical, social, et économique, qui alimentent continuellement un marché en pleine expansion…
Parmi ces confusions figurent notamment les découvertes de nouveaux symptômes et de leurs traitements associés ajoutant à la longue liste de signes cliniques déjà identifiés, de nouveaux marqueurs métaboliques, hormonaux et génétiques. La génétique se présente alors maladroitement comme un facteur causal de l’obésité, sans considération des interactions biologiques qu’entretiennent nos organismes avec leur environnement. L’épigénétique, et à des échelles encore plus fines, la nutrigénomique et la nutrigénétique, reconsidère la génétique à sa juste mesure au regard de l’obésité ; c’est-à-dire comme la conséquence d’un changement de contexte de vie. Une nouvelle alimentation affecte par exemple l’expression de certains gènes, ou le génome même. Les altérations physiologiques subséquentes renforcent alors les prédispositions métaboliques à l’obésité positionnant la génétique comme un facteur intermédiaire, conditionnée par d’autres facteurs en amont [1][2].
Si, dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique, ces découvertes scientifiques restent fondamentales, ce n’est pas parce qu’elles préfigurent de solution à venir sur une diminution miracle d’un excès de masse grasse, mais plutôt parce qu’elles fournissent des éléments de compréhension qui permettront aux patients d’accepter les difficultés qu’ils peuvent rencontrer à perdre cet excès. Difficultés qui découlent en partie des propriétés fonctionnelles du tissu adipeux, pouvant nous amener à considérer ce tissu comme un organe plus qu’un simple élément de réserve.
Dans les années 1950 Kenedy et al démontrait l’impact du tissu adipeux sur la régulation énergétique centrale [3]. Depuis, et bien qu’il ne soit pas localiser à un endroit précis de notre corps, ce tissu n’en reste pas moins un organe extrêmement complexe interagissant de manière exceptionnel avec l’ensemble de notre physiologie. Ce tissu adipeux blanc sera histologiquement différent en fonction de sa localisation ce qui aura pour conséquence un impact différent sur notre santé (tissu adipeux viscéral et tissu adipeux sous-cutané). Ce tissu va se modifier avec le temps, enchainant des phases d’hypertrophie adipocytaire avec des phases d’hyperplasie adipocytaire (recrutement de pré adipocytes), des phases de fibrose et d’inflammation [4], [5]. L’une des anomalies majeures de ce tissu dans le cadre de l’obésité est l’infiltration macrophagique [6]. Les macrophages se disposent en couronne autour d’un adipocyte présentant des signes de mort cellulaire tels que la négativité pour la périlipine, disposition caractéristique du tissus adipeux et particulièrement viscéral [7]. Le rapport macrophages M1/M2 sera différent en fonction de la localisation et de la sévérité de l’obésité androïde, il aura également un impact sur les complications métaboliques et inflammatoires [8], [9]. La fibrose est aussi une caractéristique du tissu adipeux pathologique avec un remodelage important de la matrice extracellulaire [10]. Ainsi certains auteurs n’hésitent pas à parler de « cancer » du tissu adipeux ; terme médical non adapté mais qui reflète bien la complexité et la dangerosité de ces changements.
Se surajoute à cette complexité histologique des fonctions auto-para-endocrines très variées. Depuis 1994 et la découverte de la leptine, beaucoup de travaux se sont intéressés aux rôles sécrétoires de cet organe [11]. Et il est maintenant clairement établi que ce tissu sécrète de multiples hormones et molécules provenant des adipocytes, mais également du stroma adipocytaire. Décrire l’ensemble des mécanismes liés à ces sécrétions dépasserait le cadre de cet article en raison de la pluralité des interactions déjà identifiées, et de celles qui restent à découvrir [12]. Pour autant, nous pouvons considérer de façon simpliste, que le système métabolique dont le seul objectif est d’être à l’équilibre, doit tenir compte de l’énergie en réserve (le tissu adipeux) et de l’énergie entrante (tube digestif). S’orchestre ainsi un dialogue neurosensoriel et hormonal entre ces différents organes et le système nerveux central (cf Partie « Les préférences alimentaires : entre l’inné et l’acquis »). En ressort une modulation des sensations alimentaires et de la dépense énergétique de repos [12], [13]. Bien que d’une certaine complexité, ces mécanismes de régulations inconscients ont un objectif très simple : ne pas perdre ses réserves énergétiques afin de résister aux éventuelles phases de restriction. De très nombreux articles et auteurs ont décrit ces boucles de régulation. Comprendre ceci permet trouver parfaitement logique l’inefficacité des régimes restrictifs, voire la dangerosité en habituant notre organisme aux phases de restriction qui deviendra petit à petit résistant à la perte de masse grasse.
La recherche scientifique fondamentale nous permet de progresser dans la compréhension des mécanismes qui conduisent aux tissus adipeux de devenir pathologiques :
– Fonctions et interactions des adipokines
– Inflammation du tissu adipeux
– Rôle du micobiote intestinale
– Adipocyte blanc, brun et beige
– Epigénétique
– Nutrigénomiques
– …
Comprendre comment ces mécanismes de régulations ont un impact sur le métabolisme et plus généralement sur la santé n’aboutira probablement pas à une réponse unique ou magique de la problématique obésité-maladie. S’impose alors une certaine humilité vis-à-vis de ces interactions, qu’il convient de ne pas en faire « Les solutions ». La base de la prise en charge d’une maladie chronique aussi complexe et multifactorielle qu’est l’obésité reste la compréhension des scientifiques mais avant tout celle des personnes souffrant de cette maladie.
Confrontée à l’impossibilité de standardiser un traitement unique et transversal à l’obésité, la mise en œuvre d’un programme d’éducation thérapeutique doit permettre « à une personne souffrante de s’approprier la gestion de sa maladie afin d’améliorer ses conditions de vie » ; le « patient apprenant » devenant progressivement le « patient architecte » de son parcours de soin […]. Mais la visée du « patient autonome », n’implique par l’apprentissage du bon ou du mauvais, mais plutôt une prise de conscience sans jugement d’un passé à partir duquel sera élaboré un avenir. En pratique cette approche nécessite l’implication d’une équipe multidisciplinaire, qui tout en portant un discours uniforme et cohérent, priorise, individualise, des axes de travail physique, mental et social qui conditionnent une bonne santé. Les moyens organisationnels qu’implique la mise en œuvre de cette approche thérapeutique, accentue toutefois la difficulté à cibler, orienter, et réguler le parcours de soin du patient.
Dr Cyril GAUTHIER & Dr Ludovic ROCHETTE
Plus d’infos sur la nutrition, l’obésité, la chirurgie bariatrique et leur prise en charge
[1] J. Esparza, C. Fox, I. T. Harper, P. H. Bennett, L. O. Schulz, M. E. Valencia, and E. Ravussin, “Daily energy expenditure in Mexican and USA Pima indians: low physical activity as a possible cause of obesity.,” Int. J. Obes. Relat. Metab. Disord. J. Int. Assoc. Study Obes., vol. 24, no. 1, pp. 55–59, Jan. 2000.
[2] P. A. Tataranni, I. T. Harper, S. Snitker, A. Del Parigi, B. Vozarova, J. Bunt, C. Bogardus, and E. Ravussin, “Body weight gain in free-living Pima Indians: effect of energy intake vs expenditure.,” Int. J. Obes. Relat. Metab. Disord. J. Int. Assoc. Study Obes., vol. 27, no. 12, pp. 1578–1583, Dec. 2003.
[3] G. C. KENNEDY, “The role of depot fat in the hypothalamic control of food intake in the rat.,” Proc. R. Soc. Lond. B Biol. Sci., vol. 140, no. 901, pp. 578–596, Jan. 1953.
[4] P. Bjorntorp, “Sjostrom L,+SJOSTROM L: Number and size of adipose tissue fat cells in relation to metabolism in human obesity.,” Metabolism., vol. 20, no. 7, pp. 703–713, Jul. 1971.
[5] N. Kloting and M. Bluher, “Adipocyte dysfunction, inflammation and metabolic syndrome.,” Rev. Endocr. Metab. Disord., vol. 15, no. 4, pp. 277–287, Dec. 2014.
[6] S. P. Weisberg, D. McCann, M. Desai, M. Rosenbaum, R. L. Leibel, and A. W. J. Ferrante, “Obesity is associated with macrophage accumulation in adipose tissue.,” J. Clin. Invest., vol. 112, no. 12, pp. 1796–1808, Dec. 2003.
[7] S. Cinti, G. Mitchell, G. Barbatelli, I. Murano, E. Ceresi, E. Faloia, S. Wang, M. Fortier, A. S. Greenberg, and M. S. Obin, “Adipocyte death defines macrophage localization and function in adipose tissue of obese mice and humans.,” J. Lipid Res., vol. 46, no. 11, pp. 2347–2355, Nov. 2005.
[8] M. Zeyda, D. Farmer, J. Todoric, O. Aszmann, M. Speiser, G. Gyori, G. J. Zlabinger, and T. M. Stulnig, “Human adipose tissue macrophages are of an anti-inflammatory phenotype but capable of excessive pro-inflammatory mediator production.,” Int. J. Obes. 2005, vol. 31, no. 9, pp. 1420–1428, Sep. 2007.
[9] T. Suganami, J. Nishida, and Y. Ogawa, “A paracrine loop between adipocytes and macrophages aggravates inflammatory changes: role of free fatty acids and tumor necrosis factor alpha.,” Arterioscler. Thromb. Vasc. Biol., vol. 25, no. 10, pp. 2062–2068, Oct. 2005.
[10] K. Sun, J. Tordjman, K. Clement, and P. E. Scherer, “Fibrosis and adipose tissue dysfunction.,” Cell Metab., vol. 18, no. 4, pp. 470–477, Oct. 2013.
[11] Y. Zhang, R. Proenca, M. Maffei, M. Barone, L. Leopold, and J. M. Friedman, “Positional cloning of the mouse obese gene and its human homologue.,” Nature, vol. 372, no. 6505, pp. 425–432, Dec. 1994.
[12] H.-R. Berthoud, “Metabolic and hedonic drives in the neural control of appetite: who is the boss?,” Curr. Opin. Neurobiol., vol. 21, no. 6, pp. 888–896, Dec. 2011.
[13] J. E. Silva, “Thermogenic mechanisms and their hormonal regulation.,” Physiol. Rev., vol. 86, no. 2, pp. 435–464, Apr. 2006.