La nécessité de décrire un contexte économique, social et culturel favorable au développement de l’obésité, fait alors le régal de corrélations statistiques qui, sans éléments d’interprétation suffisant, conduisent avant tout à la confusion et à la mauvaise considération d’une pluralité de causes et de conséquences.
Une personne obèse se décrit alors comme une personne i) pauvre [1], ii) vivant dans des pays riches [2], iii) au faible niveau d’instruction [1], [3], iv) regardant la télévision [3], v) au sommeil perturbé [4], [5], vi) souffrant de dépression [6], vii) ou « d’excès de plaisir » [7], viii) présentant des dérèglements hormonaux [8], ix) génétiques [9], etc…
Sans remettre en question leur légitimité propre à leur valeur descriptive, ces données présentent malgré tout le risque de nourrir des débats polarisés et dichotomiques autour de l’obésité, tel que « responsabilité individuelle ou responsabilité sociétale », « sédentarité ou excès de consommation d’aliments et boissons malsains », « maladie ou excès de gourmandise », mais encore « nouvelle forme de handicap ou nouvelle norme ». Débats que Kleinert et Horton (2015) n’hésitent pas à qualifier de futiles, et que nous consentons dans la mesure où ils ne font que renforcer les croyances, les préjugés, et les confusions sur les déterminants de cette maladie ; à l’image de nombreuses interprétations volontairement détournées, portant sur la suralimentation, la malnutrition, et la dénutrition en lien avec l’obésité [10]. En effet, les carences micronutritionnelles, autrement définie comme « The hidden hunger » (i.e. « faim cachée ») dans la littérature anglo-saxonne, touchent préférentiellement les populations dont les revenus contraignent l’accès à une alimentation à forte densité micronutritionnelle, altérant le développement morphologique de nourrissons et de jeunes enfants [11]. Par incidence, la diminution des besoins énergétiques sous-jacents à ces adaptations, prédisposerait les enfants à l’obésité lorsqu’ils sont exposés à une alimentation à forte densité énergétiques.
Bien que cette tendance affecte avant tout les pays aux revenus économiques faibles et intermédiaires (Indes, Mexique, etc…), cette réflexion apporte des explications rationnelles au lien que l’on peut établir entre la qualité nutritionnelle des aliments et le développement d’une obésité que l’on peut qualifier d’ « obésité précoce », et qui peut affecter des populations défavorisées au sein de pays aux revenus élevés. Pour autant, le bienfondé de ces stratégies préventives ne doit pas s’étendre maladroitement à des cas d’obésités plus « matures » inhérentes avant tout à un comportement et des habitudes de vies, et qui profitent en premier lieu à l’élaboration de stratégies industrielles et de préceptes nutritionnels exacerbant ou diabolisant tel ou tel aliment sur le compte de l’obésité. Et c’est ainsi qu’aux allégations « Naturel », « Frais », « Fermier », « Réduit en », « Valeur énergétique réduite », « Enrichi en », « Sans sucres ajoutés », « Très pauvre en sel », « Contient autant de…que… », etc… [12], [13]; s’ajoutent des dizaines de régimes qui ne font qu’alimenter le marché de l’obésité [14]. Lobstein et coll. (2015) estiment ainsi que la prévalence de cette maladie aux Etats-Unis représentent un volume financier pour l’industrie agro-alimentaire équivalent à 400$ par an et par enfant [11].
Dr Cyril GAUTHIER & Dr Ludovic ROCHETTE
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[1] A. Drewnowski and S. E. Specter, “Poverty and obesity: the role of energy density and energy costs,” Am. J. Clin. Nutr., vol. 79, no. 1, pp. 6–16, Jan. 2004.
[2] “WHO | Obesity and overweight,” WHO. [Online]. Available: http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs311/en/. [Accessed: 11-Aug-2015].
[3] ObEpi-Roche, “ObEpi-Roche, Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité,” 2012.
[4] A. M.-N. C Bandín, “Circadian rhythmicity as a predictor of weight-loss effectiveness,” Int. J. Obes. 2005, 2013.
[5] E. Haus, “Chronobiology in the endocrine system.,” Adv. Drug Deliv. Rev., vol. 59, no. 9–10, pp. 985–1014, Aug. 2007.
[6] Luppino FS, de Wit LM, Bouvy PF, and et al, “Overweight, obesity, and depression: A systematic review and meta-analysis of longitudinal studies,” Arch. Gen. Psychiatry, vol. 67, no. 3, pp. 220–229, Mar. 2010.
[7] D. J. Mela, “Eating for pleasure or just wanting to eat? Reconsidering sensory hedonic responses as a driver of obesity,” Appetite, vol. 47, no. 1, pp. 10–17, Jul. 2006.
[8] K. G. Murphy and S. R. Bloom, “Gut hormones and the regulation of energy homeostasis,” Nature, vol. 444, no. 7121, pp. 854–859, Dec. 2006.
[9] R. M. Evans, G. D. Barish, and Y.-X. Wang, “PPARs and the complex journey to obesity,” Nat. Med., vol. 10, no. 4, pp. 355–361, Apr. 2004.
[10] S. Kleinert and R. Horton, “Rethinking and reframing obesity,” The Lancet, vol. 385, no. 9985, pp. 2326–2328, Jun. 2015.
[11] T. Lobstein, R. Jackson-Leach, M. L. Moodie, K. D. Hall, S. L. Gortmaker, B. A. Swinburn, W. P. T. James, Y. Wang, and K. McPherson, “Child and adolescent obesity: part of a bigger picture,” The Lancet, vol. 385, no. 9986, pp. 2510–2520, Jun. 2015.
[12] Commission Européenne, “Règlement (UE) No 432/2012 établissant une liste des allégations de santé autorisées portant sur les denrées alimentaires, autres que celles faisant référence à la réduction du risque de maladie ainsi qu’au développement et à la santé infantiles,” mai-2012.
[13] Parlement Européen et Conseil, “Règlement (CE) No 1924/2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires,” décembre-2006.
[14] A. nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation de l’environnement et du travail ANSES, “Etude Individuelle Nationale sur les Consommations Alimentaires 2006-2007,” 2009.