
Le corps a une mémoire métabolique. Ce ne sont pas les candidats d’une émission de téléréalité américaine qui vont nous contredire. The biggest loser est un jeu durant lequel des personnes souffrant d’obésité font une course à la perte de poids en quelques mois (30 semaines). Le gagnant est celui qui aura perdu le plus. Nous pouvons reconnaître que les chercheurs, outre Atlantique, sont malins. Ils ont vu chez ces participants d’excellents candidats pour observer ce qu’il se passe d’un point de vue métabolique lors d’une restriction aussi sévère, le temps du jeu soit 30 semaines jusqu’à 6 ans après. Ce que ne s’autorisent pas les chercheurs par déontologie, la téléréalité leur offre.
Les 14 participants avaient en moyenne : 34ans, pesaient 149kg, IMC : 49,5, un métabolisme de repos mesuré par calorimétrie indirecte (comme nous le faisons de temps en temps sur l’EMNO à Dijon) à 2607 Kcal par jour, une glycémie à jeun à 0,957 g/l, un HOMA (marqueur de l’insulinorésistance) à 2,5, une leptine à 41,14ng/ml (hormone sécrétée par les cellules graisseuses dont la principale fonction est d’indiquer à l’organisme le niveau d’énergie dont il dispose, la réserve d’énergie étant constituée par la masse grasse).
Ces personnes ont perdu en moyenne 58,9kg en 30 semaines ! évidemment cette perte s’est accompagnée d’une restriction très importante associée à une activité physique excessive.
Les chercheurs ont pu mesurer l’ensemble des paramètres à 30 semaines (fin du jeu) et à 6 ans. Vraiment malin !
Un phénomène intéressant et positif : ils ont tous maintenu, après l’émission, une activité physique ce qui leur a permis de limiter la reprise.
Le poids remonte, la masse maigre reste sensiblement la même malgré la reprise de poids ce qui signifie que le reprise est essentiellement liée à la masse grasse malgré l’activité physique maintenue. Tout comme l’avait démontré Duloo lors de son étude sur des militaires.
L’étude de Duloo
Cette étude américaine réalisée sur des militaires était constituée de 2 phases : la première, une sous-alimentation (restriction calorique importante, moins de 50% des apports habituels) responsable d’une perte de masse grasse et masse maigre (musculaire) ; la deuxième phase, une reprise d’alimentation « normale » responsable d’une reprise de masse grasse très rapide associée à une reprise de masse musculaire plus lente. Comme si l’organisme pas crainte de nouvelle restriction, anticipait et réalisait des stocks énergétiques en urgence. Cette accumulation de masse grasse s’arrêtera une fois que la masse musculaire aura été totalement restaurée.
En phase de stabilisation, la masse grasse sera nettement supérieure par rapport à la situation avant sous-alimentation (restriction) pour la même masse musculaire. La composition corporelle a donc complètement été modifiée par la sous-alimentation.
Cette étude démontre 2 choses :
perdre du poids avec une sous-alimentation (restriction/régime) entraînera une reprise métabolique (même chez des militaires, largement actifs) ;
perdre du muscle lors d’une restriction sera systématique suivi d’une reprise de masse grasse.
Abdul G. Dulloo et al. CND. 2013 (48)
Ces graphiques montrent l’évolution des métabolismes de repos par rapport aux mesures de départ, 30 semaines et 6 ans après le jeu.
Un phénomène important est que le métabolisme de repos est passé de 2600 Kcal/jour avant, 2000Kcal/jour en fin de jeu (soit une économie de 600Kcal/jour, environ un repas). Le plus surprenant est que ce métabolisme n’a pas augmenté malgré la reprise de poids pour affiché 1900Kcal/jour 6 ans après l’émission (soit une économie de 700Kcal/jour). L’organisme des participants est devenu très très économe malgré la reprise de poids. On imagine facilement, les restrictions qu’ils ont essayé de poursuivre après l’émission pour tenter de maintenir le phénomène rebond car même en mangeant moins, le poids montait.
Toujours concernant le métabolisme, rapporté au poids : avant l’émission un kilo consommait 17,5Kcal/jour, en fin d’émission 22, 6 ans après 14,5Kcal/jour ; soit une économie de 3Kcal/jour/kg.
Les autres marqueurs ne sont pas non plus allés dans le bon sens : la glycémie après être descendue, est remontée au-dessus de la mesure de départ malgré le fait que le poids moyen reste inférieur au poids de départ. Cette augmentation est en lien avec un marqueur d’insulinorésistance (HOMA) qui est passé de 2,5 à 0,7 puis 3,6. En d’autres termes, l’organisme des participants est devenu métaboliquement moins performant avec un risque de diabète de type 2. Le poids des 6 années a du également jouer.
Enfin, la leptine : son taux sanguin passe de 41,1 à 2,5 puis 27,7 à 6 ans. Malgré un poids moyen à 90kg la leptine était descendue à un niveau extrêmement bas (2,5ng/ml), comparable à des personnes souffrant d’anorexie mentale. Ce niveau sanguin très faible est le reflet d’une adaptation du tissu adipeux qui envoie un signal d’alerte « de famine extrême». C’est en partie ce taux très bas, qui par son action sur l’hypothalamus (organe cérébral contrôlant le métabolisme) favorisera une économie métabolique importante de 600Kcal/jour. Le plus perturbant est que ce taux va remonter avec le poids et la masse grasse mais pas de manière proportionnelle. Rapporté à la masse grasse ce taux varie de 0,56 ng/kg de masse grasse pour passer à 0,095 à 30 semaines et terminer à 0,45 à 6 ans. Cette sécrétion reste donc perturbée de manière conséquente 6 années après la restriction secondaire au jeu. L’organisme ne considère pas être revenu à un niveau de réserves suffisant alors que le poids est fortement remonté.
Ces résultats, avec des poids qui sont restés inférieurs au poids initial, peuvent se comprendre par le contexte de début de jeu et le profil des 14 personnes.
En effet certains participants ont volontairement pris du poids avant le début du jeu de manière à perdre plus rapidement durant l’émission. Leur poids « métabolique » (habituel) était en réalité en dessous du poids de départ. De plus ces personnes ont tenté par tous les moyens de maintenir le poids perdu (devant les caméras : pression supplémentaire) en mettant en place des mécanismes de restriction accentuant la problématique (expliquant en partie que 6 ans après le métabolisme soit encore plus économe). Ces explications permettent de comprendre qu’ils ne soient pas tous remontés au poids de départ avant jeu.
Que pouvons-nous en conclure ?
Les pertes aussi rapides induisent inévitablement des résistances métaboliques importantes, rendent l’organisme économe en énergie, imposent donc le maintien de restrictions pour maintenir le poids qui remonte malgré les efforts. Ces modifications sont en grande partie en lien avec des perturbations des régulations de la balance énergétique et un taux de leptine lourdement impacté.
running solves nothing
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Dr Cyril GAUTHIER