Il m’a semblé intéressant de reprendre cet article (très consulté sur mon site) que j’ai écrit il y a plus de deux ans pour l’adapter et le compléter à mon recul et mes expériences. Relooking… le fond et l’analyse sont les mêmes qu’en 2015.
La chirurgie de l’obésité reste à l’heure actuelle une prise en charge de plus en plus souvent proposée aux patients souffrant d’obésité sévère.
Entre 2006 et 2013, en France, le nombre d’interventions chirurgicales bariatriques a augmenté de 332% (12868 actes en 2006 contre 42815 en 2013). En considérant par ailleurs que la prévalence de l’obésité de grades 2 et 3 n’a augmenté que de 143% sur cette même période ; le recours à la chirurgie bariatrique est devenue, en France, une alternative thérapeutique des obésités sévères de plus en plus fréquente (Sources : Obepi 2012 ; Agence Technique de l’Information sur l’Hospitalisation).
Sur des périodes de une à deux années, et selon le type d’intervention (respectivement «Anneau gastrique ajustable», « Sleeve gastrectomie », « By Pass gastrique ») d’importantes diminutions de l’excès de poids sont observées (respectivement « 52% » à 2 ans, « 73% » à 3 ans, « 68% » à 2 ans) (O’Brien et al., 2006; Schouten et al., 2010)
Une question revient fréquemment : « combien de kilos vais-je devoir perdre ? »
Nous avons en France, un registre national qui nous permet d’avoir une idée des pertes pondérales des patients en fonction de la chirurgie. Bien souvent, les chiffres annoncés sont les objectifs que se fixent alors les patients.
Premier questionnement : est-il logique de comparer une personne à une moyenne ?
Ce registre national, bien que très utile et pertinent pour avoir une vision globale de la chirurgie dans notre pays, ne peut à lui seul être l’objectif de perte pondérale (ou perte d’excès de poids) de nos patients. En effet, comparer une personne avec sa singularité à une moyenne ne semble pas la meilleure projection thérapeutique. Premièrement l’objectif ainsi fixé n’est que pondéral et ne tient pas compte de l’évolution de la composition corporelle. Une personne perdant beaucoup de poids, que nous pourrions qualifier d’une belle réussite vis-à-vis de ces chiffres pondéraux moyens, peut avoir perdu beaucoup de masse maigre ce qui aura un impact négatif sur l’évolution des mois qui vont suivre. Cette perte de masse musculaire, sarcopénie bariatrique, sera délétère sur la santé et la qualité de vie à plus long terme (risque de rebond pondéral à 2 ans, de dénutrition, douleurs, de fatigue …). Or si nous ne regardons que les chiffres, cette personne pourrait avoir perdu autant, voire plus, de poids qu’indiqué par le registre et sera donc qualifiée d’un bon résultat… « Félicitations ! vous êtes plus rapide que les autres ! »
Cette même personne pourrait avoir perdu moins de poids, ayant préservé sa masse musculaire, ce qui métaboliquement sera un avantage certains. Cette personne pourra alors être qualifiée de résultat moins bon car « pas dans la moyenne » du registre. Comparer la perte pondérale de personnes différentes à une moyenne chiffrée ne semble donc pas des plus logique en ce qui concerne l’évolution après une chirurgie de l’obésité. Vous fixer l’objectif de la moyenne nationale revient tout simplement à oublier que nous sommes tous différents et la perte pondérale ne fait pas exception (chirurgie ou non).
Quels éléments vont influencer la perte pondérale ?
Nos différences expliquent que nous prenons ou perdons du poids de façon et à des vitesses différentes. Un certains nombres d’éléments vont avoir un impact sur la perte pondérale.
La technique chirurgicale
Classiquement il existe une sorte de graduation de la perte pondérale en fonction des techniques. Les moyennes sont 20 à 30 kg pour un anneau, 25 à 35 kg pour une sleeve et 35 à 40 kg pour un bypass. Si les choses étaient si simples… Nous connaissons tous des personnes qui ont perdus 40kg avec un anneau et d’autres 10kg avec un bypass. La technique aura un impact significatif sur la cinétique de perte pondérale et le confort digestif (vomissements, blocages, reflux, dégoûts, diarrhées …).
L’ancienneté de l’obésité
Une personne qui souffre d’obésité depuis 5 ans n’aura pas la même perte de masse grasse qu’une personne souffrant de la même maladie depuis 25 ans. La deuxième aura probablement une perte moindre car le tissu adipeux se sera modifié (fibrose et inflammation du tissu adipeux) de façon à résister un peu plus à la perte pondérale et donc à la perte de réserves énergétiques. Il est maintenant prouvé que plus la graisse est fibrosée et inflammatoire plus elle a tendance à limiter la perte.
Le sexe et l’âge
Le métabolisme énergétique des hommes et des femmes n’étant pas le même, tout comme leur composition corporelle et leur répartition de masse grasse, logiquement la perte pondérale ne sera pas la même avec un petit avantage pour les hommes qui ont tendance à perdre un peu plus vite. L’âge, en réduisant notre métabolisme, a également un impact négatif sur la perte pondérale. Plus nous vieillissons plus notre métabolisme se met au ralenti expliquant des pertes moindre. Ces pertes plus lentes ne sont pas si négatives car elles limitent la perte de masse musculaire qu’il devient difficile de préserver avec les années qui augmentent.
Le profil de l’obésité
La répartition de masse grasse (abdominale ou hanche) aura un impact important. En effet, le profil du tissu adipeux est différent en fonction de sa localisation. La graisse abdominale (androïde) est plus dangereuse pour notre organisme et est un véritable facteur de risque cardio-vasculaire alors que la graisse gynoïde (hanche) a tendance à être protectrice. Si bien que le corps perdra beaucoup plus rapidement sa graisse dangereuse (abdominale) que celle qui protège (hanches). Ainsi les personnes ayant une répartition androïde perdront sensiblement plus vite que les autres.
La génétique
Nous avons tous un ensemble de gènes s’exprimant de façon plus ou moins importante qui nous prédisposent plus ou moins au stockage énergétique donc à prendre du poids. L’injustice ou inégalité de la génétique. Et bien cette prédisposition à stocker l’énergie s’exprime également pour nous freiner plus ou moins lors de la perte pondérale. La génétique nous prédispose à des gains comme des pertes pondérales sous influence génomique et donc différente. En clair : nous prenons du poids de manière différente en fonction de nos gènes, nous perdrons de la même façon.
Le nombre de régimes effectués avant
Une personne qui a effectué une dizaine de régimes au cours de sa vie aura une vitesse de perte pondérale moindre qu’une personne n’ayant fait aucun régime. Ce qui explique également les différences que nous pouvons avoir entre hommes et femmes. En effet, tous ces régimes favorisent le yoyo pondéral ascendant tout en entraînant l’organisme à résister à la perte pondérale (résister le plus possible à la restriction, considérée comme une famine par notre corps). Ainsi faire de multiples régimes, entraîne votre corps à résister à la perte pondérale même si cette dernière est induite par la chirurgie (vécue comme une sorte de « super famine » par votre organisme).
Les antécédents de chirurgie bariatrique
Comme pour les régimes, une personne qui a déjà bénéficié d’une ou deux techniques chirurgicales ne perdra pas de la même manière qu’une personne n’ayant eu aucune chirurgie avant. L’organisme est en quelques sortes « rodé » aux pertes pondérales importantes et essaie donc de résister aux suivantes. Avoir un bypass de troisième intention (après un anneau et une sleeve) n’aura pas la même perte pondérale (moindre) qu’un bypass de première intention (sans chirurgie bariatrique avant). Ayant connaissance de ces différences, il est important de toujours se baser sur le poids de départ de prise en charge, même si celui-ci est celui de la première intervention (10 ans avant).
Le suivi
La perte pondérale sur le long terme sera fortement impactée par ce suivi. Les premiers mois (véritable lune de miel en ce qui concerne la perte de poids) la chirurgie fait son travail avec une perte importante et rapide. Or cette phase, durant laquelle tous les patients perdront du poids, est primordiale car elle va conditionner la suite. Dans toutes les études de suivi après chirurgie de l’obésité le même constat : le poids remonte à 2 ans. Cette phase est très complexe à gérer. Les patients sont, quand il n’y a pas de suivi, dans une angoisse extrême devant cette reprise même si elle est modérée. Ils ont beaucoup de difficultés à en parler. Cette reprise peut être liée à 3 phénomènes : reprise physiologique (perdre plus de 50% de ses réserves énergétiques est suivi d’une petite phase de rebond par la balance énergétique) ; reprise en lien avec des erreurs nutritionnelles qui peuvent être retravaillées ; reprise en lien avec une perte trop rapide (souvent accompagnée de perte de masse musculaire). Dans tous les cas, cette période très compliquée nécessite une approche globale et est malheureusement le moment où les patients échappent au suivi, un peu comme s’ils avaient peur d’un jugement… Or c’est la phase qui nécessite le plus d’accompagnement afin d’éviter de retomber dans la restriction et donc le yoyo. On ne fait pas une chirurgie pour reprendre un régime dès que le poids stable ne correspond pas à un idéal ou une moyenne. Sans suivi sur le long terme, il sera difficile d’adapter le comportement alimentaire à la chirurgie. Il ne s’agit pas uniquement de regarder votre biologie à la recherche de carences (ce qui est déjà une bonne chose) et de vous peser, mais d’adapter votre alimentation à votre nouveau rythme alimentaire tout en faisant en sorte que ces changements soient ancrés. L’intervention chirurgicale entraînera une perte pondérale certaine que seul un vrai travail sur le comportement alimentaire permettra de stabiliser sur le long terme.
Avec tous ces éléments, vous conviendrez qu’annoncer à un patient vous perdrez X kg n’est pas approprié, à moins d’avoir trouvé l’algorithme mettant en relation les facteurs cités ci-dessus pour obtenir une évaluation fiable de la perte pondérale. L’autre problématique est que le patient va entendre « si vous n’atteignez pas -X c’est de votre faute » même si ce n’est pas ce qui est dit. Ce qui nous ramène à nos vendeurs de régimes miraculeux qui nous promettent de perdre facilement des dizaines de kilos, et qui nous renvoie que si nous n’y arrivons pas c’est que c’est forcément de notre faute (la fameuse phase de stabilisation). Ne faisons pas la même erreur avec la chirurgie de l’obésité.
Oui ! La chirurgie fait perdre efficacement du poids !
Pour une personne donnée, combien ? On ne sait pas précisément !
Encore une fois, se fixer un chiffre sur la balance comme objectif reste et restera une très mauvaise idée pour le long terme.
Personne ne sait combien vous devez perdre pour être bien.
Plus d’infos sur la nutrition, l’obésité, la chirurgie bariatrique et leur prise en charge
Dr Cyril GAUTHIER